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La sorcellerie de Siquijor

"La beauté même, et la perception qu'on en a, est source de mélancolie."

Gilles Archambault


Février 2017


Nomade. Cela devait arriver. L'impression du mouvement permanent, la sensation du vide, la mort imminente. Ça s'est produit en plein cœur du Pacifique, quelque part perdu dans le globe, sur l'île de Siquijor, ce bijou de sable blanc égaré au milieu des vagues. Toute la journée, sillonnant la jungle de ce paradis philippin, j'avais vu défiler les cocotiers bercés par le vent, les cascades de diamants filant entre les roches, les oiseaux blancs survolant les plaines séchées par le soleil. La beauté était pure, à peine modelée par la main humaine, presque brute parfois, indifférente à mes états d'âme.


La mélancolie s'est retenue à moi vers dix-sept heures, à peine plus tôt, alors que le crépuscule guettait déjà l'horizon. Je l'ai ressentie comme une vague, une épidémie fulgurante, une sorte de paresse du cœur qui venait me surprendre comme ça, sans présages. Les symptômes annonciateurs étaient trop bien enfouis, cachés par les divinations de la magie la plus noire, même les sorciers des montagnes de Siquijor auraient été incapables d'en entrevoir les contours.

Les voix de la mélancolie resteront impénétrables, qu'importe le ciel bleu qui les survolera.

C'était trop tard pour fuir, pour éviter l'hécatombe. Je me suis traînée jusqu’à la nuit, le cœur gonflé, la gorge sèche, les pupilles étourdies. Je ne savais plus, peut-être n'avais-je jamais su, le sens du voyage, de son instabilité, le pourquoi de cette lancée en avant, de cette échappée impalpable, le sens de la vie tout court. Et plus je pensais à la vie, plus c'était la fin qui m'obsédait. La fin du tout. Le grand trou noir. Le voile ténébreux qui recouvre l'absolu. C'était ça. C'était évident, tel le phare triomphant les flots de tempête. Il n’y avait rien à faire, rien à penser davantage, simplement à endurer ce drôle de sentiment, à subir cette drôle de tristesse mal placée jusqu’à ce qu’elle se consume d’elle-même. La solitude. Voilà tout. Il n'y a que la solitude pour vous faire ressentir ça avec tant d'ironie.


Pas une solitude physique. Non. Mais une solitude de l'esprit, la solitude de l’autre, la solitude de ne pas être seule.

C’était d’indépendance que j'étais éprise, un besoin irrépressible de renier l'appartenance, rompre le lien possible quel qu’il fût, le rompre avant qu’il ne résiste. Je ne les avais aimés que de loin, quand ils n’étaient encore que des fantômes dans la nuit, des sourires anonymes sans conséquences. Pourtant, dans cette chute solitaire, alors que j’écris ces lignes, quelque chose d'invisible semble me hisser à la surface, mon corps descend et remonte à la fois, je me noie et vole en même temps. Je crois. Impossible d’être certaine. La vitesse est si grande que tout devient vide, plus rapide que la lumière à atteindre la terre. Ainsi, les sensations ne disent plus rien, impossible de savoir dans quelle direction le mouvement entraîne. Dans ce déplacement de la matière, des formes d’hallucinations ou d’illuminations m'envahissent. La réalité et la fiction ne se distinguent plus, le vécu ne se sépare plus du songe, la magie noire de Siquijor m'a ensorcelée.


Demain, la mélancolie partira.

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